Véga Rosier
Véga Rose Marie Rosier, verseau, née à Paris d'une mère magistrate et de Ares Rosier descendant direct d'une richissime famille anglaise.
Qui se serait imaginé une seule seconde que Véga Rosier, jeune élève brillante, membre du conseil de vie des étudiants, toujours première dans toutes les matières, toujours parfaite, toujours polie, toujours souriante, jamais faible, jamais méchante, toujours un modèle pour les autres, s'enfermait dans les toilettes du troisième étage pour fumer du cannabis ? Personne. Véga avait retenu rigoureusement les leçons de ses parents. Toujours avoir de bonnes notes. Toujours dire oui. Jamais dire non. Jamais dire le fond de sa pensée. Toujours obéir. Toujours avoir de bonnes fréquentations; ou plutôt, toujours avoir des fréquentations du même rang sociale que sa famille. Toujours être exemplaire.
Aujourd'hui 19 ans, ses parents lui ont acheté un standing de 150 m2 à Londres qu'elle partage avec sa cousine Grace Rosier.
Véga Rosier ne sort plus de chez elle. Mécaniquement, elle roule son joint. Mécaniquement, elle appuie sur la roulette du briquet.
Mécaniquement, elle s'enfonce dans les ténèbres.
Elle ne parle plus à ses parents. Ils lui versent juste une coquette somme d'argent tous les mois dont le plus gros pourcentage part dans la beuh. Ses relations sociales se résument aux connaissances de Grace qu'elle ramène à l'appartement le temps d'une soirée.
Quelques fois elle entend des voix dans sa tête. Ça la rend folle. Complètement dingo. Ce qu'elles lui disent... Ce qu'elles lui chuchotent dans l'oreille. Elle voudrait overdoser aux médicaments ou se jeter depuis la fenêtre du septième étage pour qu'elles se taisent. Pour qu'elles la laissent tranquille ne serait-ce qu'une seule nuit. Pour qu'elle puisse enfin dormir. Juste dormir.
« Crève Véga, crève ! Tu ne mérites que ça. Tu crois que tes parents t’ont pardonné parce qu’ils t’ont acheté ce bel appartement ? Ils t’ont juste abandonné ! Ils t’ont banni ! Déshérité ! Tu es morte à leurs yeux, comme ton petit frère. Rappelle-toi. C’est toi qui l’a tué. Meurtrière ! Meurtrière ! Maintenant c’est ton tour de mourir. »
La douleur est déroutante. Mon corps essaie de rejeter la souffrance, je suis aspirée par une obscurité qui efface les secondes de tortures, rendant plus difficile la perception de mon existence. Je tente de séparer les deux univers, les cauchemars, de la vie. Mon corps se tord dans tous les sens, alors que la douleur m'irradie. J'attends que la bataille qui enrage mon cerveau s'apaise, je reprends conscience de l'horrible et fourbe réalité. Durant un moment, je ne pense qu'à une chose, je suis morte, enfin. Détruite par mes parents, par ce monde scintillant, doré, faux. Alors, j’entrouvre les yeux, de peur d'être éblouie par une lumière quelconque. Tout me parait si clair, ma chambre n'a pas changé et je peux voir par la fenêtre que la nuit est tombée. Je suis seule, seule assise sur mon lit horrifiée par le nombre d'heures pendant lesquelles je suis restée engloutie par ces voix.
La roulette sous mon pouce. Mon doigts fatigué. Le bruit sec de la flamme qui jaillit. Bouée de sauvetage imaginaire. Le grésillement du cône qui s’allume, échoué entre mes lèvres. La fumée s’élève sous mes yeux. Fascinante. Immortelle. J’oublie.
Le monde est plus beau sous le filtre de Marie-Jeanne.
« Respire.
Respire bordel.
Voilà juste comme ça.
Inspiration, expiration.
Et maintenant calme-toi.
Ce n’était qu’un cauchemar, ok ?
N’y pense plus.
C’est ça redresse-toi. Doucement. Lève-toi. Un pied devant l’autre, juste comme ça.
Arrête de trembler !
Je t’ai dit que ce n’était qu’un cauchemar ! Ce n’était pas la réalité, Véga. Tout ça n’est pas réel. »
Des chuchotements dans le creux des oreilles et la fumée qui s'en échappe...